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Alex - La Mémoire confinée

  

La Mémoire confinée.  Libération de Mauthausen, témoignage de Placido MORENO

  

Malgré le confinement Memoria Andando continue son devoir de mémoire envers les Républicains espagnols, comme le font les autres associations mémorielles de la coordination CAMINAR. Beaucoup de commémorations n'ont pas pu être honorées cette année, le 14 avril 1931 : la proclamation de la IInde République espagnole, le 26 avril 1937 : le bombardement de Guernica. Memoria Andando ne pourra pas non plus rendre hommage comme chaque 8 mai à Septfonds aux 16 000 Républicains espagnols qui furent internés à partir de mars 1939, dans ce camp de concentration du Tarn et Garonne. Malgré le confinement nous tenons à commémorer le 5 mai 1945.

 

En effet, il y a 75 ans, les troupes alliées libéraient le camp de concentration de Mauthausen en Autriche. Les soldats alliés ne comprenaient pas pourquoi une banderole, écrite en espagnol et qui disait: «  Los españoles antifascistas saludan a las fuerzas liberadoras  », au dessus de la porte d'entrée, saluait leur arrivée. Peut-être ne savaient-ils pas que parmi les 200 000 prisonniers de ce camp 10 000 étaient des Républicains espagnols. Environ 3 500 «  Rotspanier  » survécurent à cet enfer. L'Historien allemand Peter GAIDA intervenait à Toulouse en octobre 2019 au colloque mémoriel organisé par CAMINAR pour commémorer les 80 ans de la Retirada. Il rappelait que le camp de concentration de Mauthausen était le seul camp de concentration nazi de la catégorie III, ce qui voulait dire «  annihilation par le travail  ».

Parmi les Rotspanier survivants les plus connus, se trouvaient Mariano CONSTANTE, José CABRERO ARNAL et Francesc BOIX. Mariano CONSTANTE lors de la Guerre d' Espagne était le plus jeune Capitaine de l'armée Républicaine et écrivit de nombreux livres. José CABRERO ARNAL dessina de 1948 à 1970 les aventures de 3 personnages de Bandes Dessinées qui égayèrent notre enfance ; Pif le chien, Placid et Muzo et d'autres.

Francesc BOIX travailla comme photographe au service d'identification du camp de Mauthausen. Avec l'aide de jeunes espagnols qui faisaient partie du «  Kommando Poschacher  », il fit sortir des photos du camp. Ces jeunes «  Potchacas  » travaillaient dans des carrières de l'entrepreneur Anton POSCHACHER à 1 kilomètre du camp. Sur leur trajet, ils déposaient des clichés chez une complice, Anna POINTNER, résistante autrichienne qui habitait à Mauthausen. A la fin de la Seconde Guerre Mondiale Francesc BOIX témoigna les 28 et 29 janvier 1946 au Procès de Nuremberg. Ses photos servirent à faire condamner des responsables nazis.

 

Grâce à mes activités à Memoria Andando, j'ai eu le plaisir de côtoyer Placido MORENO. Une collègue du lycée de Villefranche-de-Rouergue me présenta ce vieux monsieur adorable et discret qui était son parrain. Ce héros oublié, modeste et très attachant ne parlait pas beaucoup. Quand je le pouvais j'allais lui rendre visite à Moissac dans le Tarn-et-Garonne. Lors de nos tête à tête, ou de nos promenades dans des jardins publics, appuyé à mon épaule, il se livrait à des confidences. En mars 2004 il accepta de venir livrer ses souvenirs à 4 classes de Terminales du Lycée de Villefranche de Rouergue. Il était accompagné de José Antonio ALONSO, alias Commandant ROBERT, qui était Chef d' Etat-Major de la Brigade des Guerrilleros espagnols qui libéra l' Ariège en août 1944. Le Commandant ROBERT était membre de Memoria Andando et Président d' Honneur de CAMINAR jusqu'à sa mort. Leur témoignage est intégré dans le DVD Memoria Viva des Républicains espagnols. Ils étaient accompagnés de Claude CAMPANINI qui survécut au camp de concentration allemand de Dora. L'intervention de Placido fut la plus courte, mais le jeune public écouta en silence avec beaucoup de respect et d'émotion ce monsieur âgé qui avait survécu à l'enfer concentrationnaire. Comme je le fis pour les élèves je vous expliquerai plus en détail quelques moments de la vie de Placido MORENO.

 

Dans le cadre du 75e anniversaire de la libération du camp de Mauthausen, il me semblait utile d'évoquer le témoignage de M. Placido MORENO, un héros anonyme et ordinaire, mais tellement attachant et impressionnant de discrétion. J'ai eu le plaisir et la chance de le rencontrer et de l'accompagner dans ses dernières années.

 

C'était un jeune homme lors de la Guerre Civile espagnole, à laquelle il avait participé. Il avait dû fuir l'Espagne lors de l'Exil (la Retirada) de l'hiver 1939, comme environ 500 000 compatriotes, chassés par la victoire imminente des franquistes.

Arrivé en France, il fut interné dans plusieurs camps de concentration (c'est le terme officiel, pris par décret par le gouvernement français), celui du Vernet d'Ariège, puis celui de Septfonds, dans le Tarn et Garonne. Il ne voulait pas rester dans ce camp « plein de poux », et pour en sortir il s'engagea dans une Compagnie de Travailleurs Etrangers, composée d'autres Républicains Espagnols, et qui dépendait de l'Armée française.

Il fut envoyé à la frontière franco-belge, pour retarder l'assaut imminent de l'Armée allemande et travailler à la construction de la Ligne Maginot. Mais en juin 1940, il fut arrêté par les allemands et déporté au Stalag 6 B à Sankt Postel, en Allemagne. Environ 10 mois après, il fut envoyé en train jusqu'au camp de concentration nazi de Mauthausen, en Autriche. De la gare, il dut marcher pendant 7 kilomètres pour arriver, aux murailles imposantes en pierre taillée du camp qui était en construction et que les prisonniers contribuaient à agrandir. Très vite il comprit ce qui l'attendait : travailler jusqu'à épuisement dans la carrière qui était à un kilomètre, et en montant ou descendant plusieurs fois par jour les 186 marches inégales et glissantes de « l'escalier de la mort » qui le hantaient souvent dans ses cauchemars, bien longtemps après.

Le retour au camp était un risque mortel permanent puisque les prisonniers portaient des pierres qui souvent étaient aussi lourdes qu'eux. Ceux qui tombaient dans l'escalier ou lors du trajet, étaient abattus, s'ils ne se relevaient pas. Un jour il voulut aider un autre espagnol qui venait de glisser et faillit être exécuté lui aussi. Il ne fut « châtié que de 25 coups de matraque », comme disait avec un peu de dérision M. Placido MORENO. Souvent les prisonniers désespérés choisissaient de se jeter dans le vide dans l'escalier dont le dénivelé mesurait 150 mètres, ou de se jeter depuis le tristement célèbre « mur des parachutistes », pour écourter leur calvaire quotidien. Tous le jours 20 à 30 prisonniers mouraient.

Avec le numéro 3578, dont il n'a jamais oublié la prononciation allemande, il survécut 4 ans aux séances de « sauts du crapaud » ou autres exercices physiques humiliants, aux séances d'épouillage et aux appels interminables sous le froid, la pluie, la neige, qui amusaient tant les soldats allemands, aux séances de matraquage, aux expériences médicales, à la famine et aux maladies. Près de la moitié des 200 000 prisonniers de Mauthausen moururent dans ce camp.

Comme beaucoup de prisonniers espagnols, il prit une part active à la résistance dans le camp, en passant à l'extérieur quelques photos de Francisco BOIX par exemple, qui furent utilisées au procès de Nuremberg. Lors de la libération. Il aida à peindre quelques lettres de la pancarte qui salua l'arrivée des soldats américains le 5 mai 1945 et à déboulonner l'aigle nazi qui surmontait l'entée du camp. Mais il l'évoquait, souvent avec une note de dérision mais aussi d'émotion dans la voix. Mais il ne voulait pas être considéré comme un héros, il disait simplement qu'il n'avait fait que son devoir. Il regrettait d'avoir vu mourir tant de ses camarades sans avoir pu les aider à survivre.

Quand il fut libéré, il ne pesait que 30 kilos. Des 10 000 prisonniers arrivés avec lui, il ne survécut que 1500 personnes, et parmi les 10 000 Républicains espagnols de Mauthausen, environ 3 500 survécurent à cet enfer. Après la libération du camp, il fut hébergé et soigné à l'Hôtel Lutetia de Paris. Mais il évoquait avec toujours beaucoup d'amertume son arrivée à Moissac, dans le Tarn et Garonne. Pour se soigner de la typhoïde et d'autres maladies contractées dans les camps il ne pouvait payer ses médicaments. Lors de ses premières demandes d'aide à la Mairie, des fonctionnaires peu sympathiques lui disaient avec un air suffisant et suspicieux: « On ne veut pas d'étrangers ici ». Le Maire intervint et Placido put reprendre une vie normale en livrant des colis avec une charrette tirée par un cheval.

M. Placido MORENO n'était pas très bavard, et n'aimait pas se mettre en avant. Mais en mars 2004, il accepta de venir parler aux élèves de Terminale du Lycée de Villefranche de Rouergue, où j'enseignais avant d'arriver à celui de Decazeville. Son témoignage, court mais très émouvant, est intégré dans le DVD  «  Memoria Viva des Républicains Espagnols  » qui recueille des témoignages de personnes qui vivaient dans le Bassin minier et qui étaient membres de Memoria Andando. Nous avions réalisé ce DVD à l'époque et le Conseil Régional l'avait distribué aux Lycées de Midi-Pyrénées. Quand j'avais remis à Placido un exemplaire à Moissac, lors d'un de nos derniers repas ensemble, Placido m'avait beaucoup remercié. Son sourire radieux et ses larmes d'émotion sont encore gravés dans ma mémoire.

C'est toujours avec beaucoup d'émotion que je pense à ce héros ordinaire et anonyme ou quand je parle de lui ou que je présente son témoignage aux élèves ou à d'autres publics.

 

Gracias Placido. Nunca te olvidaremos. Salud y República.

Alexandre SANTANA
   
    
  

 

Alexandre SANTANA, Commandant ROBERT, Placido MORENO
    
 
 

Mauthasen, escalier de la mort
   
 
 

Mauthasen, aigle déboulonné
   
 
   

Mauthasen, libération
   
 
 

Placido, jeune
 
 

Placido, arrivée à Moissac
  
  

Placido, mars 2004
  
  

   


Date de création : 04/05/2020 16:17
Dernière modification : 04/05/2020 17:49
Catégorie : Alex


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