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2_Témoignages - e1_ Républicains espagnols en Aveyron

Les réfugiés espagnols en Aveyron  par Jean Vaz Aransáez
 


Le mardi 10 septembre 2019, le dernier réfugié espagnol arrivé adulte en Aveyron, Eduardo Castro Viñas, « El Sevilla » s’est éteint à l’âge de 103 ans.

Exilé républicain engagé à vingt ans dans la guerre civile espagnole il a poursuivi dans la Résistance en France son combat contre le fascisme. Je ne reprends pas ici toute sa biographie. Quelques jalons simplement : la bataille de Teruel, la bataille de l’Ebre, la Retirada, les camps, Argelès, Gurs, Bordeaux, Le Barcarès puis un GTE1 à Capdenac, la mine à Decazeville et dès 1942 l’organisation du premier noyau de Guerrilleros dans le Bassin qui deviendra la très active 9ème brigade ; commissaire politique communiste dans l’Aude en 44, il est arrêté par les Allemands, s’évade lors de son transfert en Allemagne, et crée un nouveau maquis dans la région de Saint- Dizier. Lors de l’arrivée des premiers alliés américains qu’il demande à rencontrer, il sera inexplicablement enfermé au camp de Compiègne puis embarqué pour Londres où il séjournera dans divers camps, avec 250 autres républicains espagnols. Sûrement le début de la guerre froide ? Il ne rentrera en France qu’en mai 1946 et ce, grâce à une intervention de Paul Ramadier, alors député-maire de Decazeville.

Il y a trois ans, lors d’une petite fête pour ses 100 ans au siège de Memoria andando, nous avons rappelé son parcours de combattant antifasciste infatigable, Eduardo a simplement dit « Je n’ai fait que ce que je croyais être mon devoir ».

C’est à lui et à tous les réfugiés espagnols qui peuplent mes souvenirs que je pense en présentant cet exposé.

 

Quelques précisions avant d’entrer dans le vif du sujet.

Je ne suis pas historien et même si ce travail repose sur des recherches suivies aux Archives Départementales et sur des témoignages pluriels, mes souvenirs personnels peuvent parfois teinter de subjectivité le rappel de certains évènements.

Je suis né à Decazeville, au cœur du seul bassin industriel de l’Aveyron, département enclavé, essentiellement rural qui compte 314  682 habitants en 1936. 
Mon père, militant anarchosyndicaliste a passé la frontière le 13 février 1939 au col d’Ares et ma mère est fille de l’immigration économique des années 1910-1930. 
J’ai grandi dans le milieu libertaire. C’est un peu le « yo soy yo y mis circunstancias » d’Ortega y Gasset  !

 

L’Aveyron reçoit ses premiers réfugiés espagnols dès 1937.

Comme vous savez, la chute de Bilbao, Santander puis Gijón en juin-octobre 1937 provoque l’arrivée en France de bateaux espagnols pleins de réfugiés, environ 
120 000 personnes. Plus de 200 femmes et enfants sont accueillis en Aveyron. Dans le Sud Aveyron par exemple, à Saint Affrique, ville qui a quelques ateliers textiles, arrivent le 16 juin 37, 23 enfants basques de 7 à 13 ans et leur institutrice, le 10 juillet un second groupe de 28 réfugiés, 13 femmes et 15 enfants, tous de Santander. 
Il en arrivera 14 autres en août 37. L’accueil est globalement solidaire au début. Tous sont hébergés dans des hôtels et dans la salle des fêtes de l’école maternelle. Les autorités se montrent sensibles à la détresse de ces réfugiés et d’après les témoignages tout est fait pour les accueillir au mieux. Le gouvernement rappelle cependant régulièrement aux préfets sa circulaire de mai 1937 qui précise qu’il est très favorable aux rapatriements sous certaines conditions. Et d’ailleurs, l’élan initial de générosité de la population ne va pas durer et lorsque en octobre 37, 41 réfugiés sont rapatriés, le Commissaire dans son rapport précise que la population et surtout les femmes, « se montre très satisfaite  du départ des réfugiées espagnoles ». Les Saint Affricaines pourront reprendre les emplois «  occupés clandestinement ».

En juillet 37, Manuel Vieitez né en 1930 à Tineo aux Asturies, membre de Memoria andando aujourd’hui décédé, quitte précipitamment les Asturies avec sa mère et ses quatre frères et sœurs. Pour ses petits-enfants il raconte dans un cahier journal la terrible odyssée qui les mène de Gijón à Pessac en Gironde, de Pessac en Catalogne dans des wagons à bestiaux, puis fin janvier 39, dans la neige et le froid, la Retirada, l’hébergement dans une école désaffectée dans le Loir et Cher, le camp de Bois-Brûlé près de Blois (où les enfants ramassent toute la journée les pierres dans les champs) puis au printemps 1940 les retrouvailles avec le père, mineur dans une mine de fer près du Puymorens, (Manuel, 10 ans est loué dans une ferme) et enfin, pour raison de santé, nouveau départ pour finalement s’installer à Decazeville où les mines emploient de nombreux réfugiés espagnols.

D’autres enfants, aujourd’hui octogénaires et membres de Memoria andando, ont eu en 38 et 39 des parcours tout aussi chaotiques et racontent la force et le courage admirable de leurs mères pour surmonter seules ces terribles épreuves.

Au printemps 1938, l’occupation par les franquistes du haut Aragon entraîne un nouveau flux migratoire et fin 1938 le nombre total de réfugiés espagnols en France s’élèverait à environ 40 000.

Une statistique de la Préfecture de l’Aveyron du 7 juin 1938 fait état de 402 réfugiés espagnols (dont 206 enfants) répartis dans les villes de Rodez, Millau, Villefranche de Rouergue, Decazeville, Réquista, Naucelle, Saint-Geniez et Recoules. 333 sont à la charge de l’état et 69 hébergés par l’initiative privée. Quelques Comités d’aide aux réfugiés espagnols, à Millau, à Cransac … fournissent des effets d’habillement, des chaussures, du linge de corps etc… Ils assurent aussi les frais de correspondance des réfugiés et l’amélioration de l’ordinaire des enfants. D’autres associations comme le comité local de rassemblement populaire à Capdenac, les sections locales du Secours rouge à Cransac, à Millau… recueillent des subsides et des fonds.

Même si les chiffres sont à manier avec précaution, ils ne seraient plus que 303 en novembre 38, ce qui pourrait s’expliquer par la pression exercée par le ministère de l’intérieur auprès des préfets pour encourager les rapatriements. Car même si au début, de nombreuses notes adressées au préfet de l’Aveyron par exemple, demandent à ce que les réfugiés soient accueillis le plus humainement possible, dès la chute du gouvernement de Front populaire en avril 1938 et la mise en place du gouvernement Daladier, la politique envers les réfugiés deviendra de plus en plus restrictive.

Et donc, bien avant l’exode massif de janvier février 1939 de près de 500  000 espagnols qui fuient devant l’impitoyable avancée du fascisme victorieux.

En quelques jours arrivent en gare de Rodez pour « triage » près de 2400 réfugiés (un millier de femmes, près de 1000 enfants, une centaine de vieillards, plus de 30 blessés et quelques hommes valides). Ils sont répartis par la Préfecture de l’Aveyron sur 43 communes. Pris en charge par l’Etat ils sont hébergés dans des hôtels, des locaux communaux ou chez des logeurs particuliers. Une statistique préfectorale du 28 février 39 fait état d’un total de 2620 réfugiés civils à la charge de l’état et 76 par initiative privée. Selon les témoignages, l’accueil dans les campagnes sera variable, souvent méfiant, parfois hostile, rarement chaleureux. On ne comprend pas très bien qui sont ces femmes, désemparées mais dignes, dont les enfants s’appellent Alba, Armonía, Vida, Progreso, Germinal, Floreal, Lenin, Libertad, et même Fraternidad  !…Il y a aussi bien sûr des José, des Manuel, des Carmen, des Dolores et des Mercedes…  !  

En revanche dans le bassin houiller de Decazeville, Aubin, Cransac, Viviez, Firmi la communauté espagnole immigrée qui comptait 5148 personnes au recensement de 1926 sera présente et solidaire. Elle le sera d’abord avec les femmes et les enfants arrivés dès janvier 39. Elle le sera ensuite quand les hommes sortiront des camps de concentration. Cette colonie espagnole, fortement politisée, communistes ou sympathisants pour la plupart, a déjà créé en 1927, à Decazeville un Centro recreativo español, toujours en 1927, une Aide Mutuelle espagnole à Viviez où l’usine Vieille Montagne emploie de nombreux espagnols immigrés et en septembre 36 une Fédération des immigrés espagnols. Une vingtaine de mineurs se sont d’ailleurs enrôlés dans les Brigades internationales. Deux ne sont pas revenus, José Fernández de Decazeville et Juan Àlvarez de Cransac. Un Bassin donc, si je puis dire, avec une forte identité espagnole qui en mai 39, avant la sortie des camps a déjà accueilli 435 réfugiés, en majorité des femmes et des enfants.

La surveillance administrative, la surveillance sanitaire, la surveillance de « l’état d’esprit » est très rigoureuse. Les instructions ministérielles insistent sur la nécessité de se montrer très ferme dans les centres d’hébergement sur le respect de la discipline et elles demandent très régulièrement aux préfets, aux maires, aux commissaires spéciaux, aux brigades de gendarmerie des états sur la situation et le comportement des réfugiés. D’une manière générale les rapports de gendarmerie sur la conduite des réfugiés sont plutôt positifs. Dès le mois de mai 39, le Ministère de l’intérieur décide «  dans un haut souci d’intérêt national de tirer parti de la masse des réfugiés espagnols… » et comme il y a peu d’hommes disponibles il faut «  utiliser les femmes aux travaux agricoles peu pénibles, aux tâches ménagères et les enfants de plus de 10 ans à la garde des troupeaux ». Toujours en mai 39 au camp du Larzac, se crée la 1ère Compagnie de Travailleurs Etrangers en Aveyron avec 250 miliciens venus du camp d’Agde (pour m’éviter une agression politico-lexicale sur les termes miliciens/soldats, je précise que c’est le terme employé dans les documents officiels  consultés !). Ils seront affectés aux travaux d’aménagement du camp. D’autres CTE seront créées à partir de septembre 39 à Capdenac, Espalion, Saint Izaire, Rodez et Decazeville.

Toujours dans le but d’alléger la charge qui pèse sur l’Etat, le gouvernement exerce de fortes pressions auprès des préfets pour que soient rapatriées le plus grand nombre de personnes qui peuvent l’être, en particulier «  les femmes venues seules ou avec leurs enfants et qui ne peuvent pas invoquer la présence d’un mari dans un camp ». Pour les autres on les encourage à travers des annonces à retrouver leur mari, leur père et l’administration est chargée d’essayer d’obtenir leur autorisation pour le rapatriement de leur famille. Pour l’ensemble du département, les centaines d’annonces publiées par la Dépêche du Midi entre le début mars et la fin avril 1939 (annexe 1) donnent la mesure de l’éclatement des familles et du déchirement que suppose cette tragique Retirada. Et les rapatriements sont continus. A titre d’exemple, dans l’arrondissement de Villefranche de Rouergue, 532 femmes et enfants sont rapatriés, via Hendaye, dès le mois de mai 1939.

Le 3 septembre 1939, la guerre est déclarée. Tous les réfugiés parqués dans des camps de concentration sont appelés massivement à remplacer dans l’agriculture (annexe 2) et dans les mines la main d’œuvre française mobilisée, 1500 environ pour l’Aveyron.

Aux Houillères de Decazeville, les arrivées de réfugiés recrutés dans les camps débutent dès Septembre 1939, s’accentuent en décembre puis en Janvier 40 avant de se stabiliser au début de l’année 42. (200 viennent du camp de Bram -annexe 3-, 40 de St Cyprien, 146 d’Argelès, et 246 de Septfonds -annexe 4- dont mon père.) 
632 sur les listes. En 1942 les Houillères déclarent avoir recruté 696 ouvriers espagnols. La différence tient certainement à une circulation de réfugiés impossible à contrôler avec précision.

Dans les listes de noms des internés recrutés par les Houillères, j’ai découvert Gregorio Jover, membre des Solidarios avec Durruti et Ascaso qui a dû quitter certainement très vite Decazeville pour gagner le Mexique, Antonio Téllez, libertaire que l’on retrouvera dans la 9ème brigade de guerrilleros de Decazeville, tout comme d’ailleurs Enrique Ortiz, le père de Jean et Jovino Fernández, un des trois survivants parmi les 795 évadés du Fuerte San Cristóbal (pénitencier de Ezcaba) en Navarre le 22 mai 1938. Nous avons été voisins pendant quelques années. Sur ces listes, j’ai retrouvé avec beaucoup d’émotion les noms de très nombreux réfugiés que j’ai côtoyés pendant mon enfance et mon adolescence.

Pour illustrer l’installation précaire de tous ces réfugiés à la sortie des camps, je m’appuierai sur le Bassin de Decazeville parce que c’est là qu’ils sont le plus concentrés, c’est là que seront les sièges des grands partis et syndicats, et c’est là que j’ai vécu…

D’après les rapports de police les anarchistes sont les plus nombreux, ils sont pour la plupart aragonais, andalous, catalans, un galicien, mon père  ! ; ensuite les socialistes, dont un important noyau de mineurs est venu de Barruelo près de Palencia et de Bembibre et Cistierna dans la province de León  : presque tous ont participé aux grandes grèves de 1934  ; puis les communistes, beaucoup sont asturiens. Ils vont trouver dans ce Bassin de Decazeville un socle important de communistes espagnols issus de l’immigration et de bons appuis auprès du PCF et de la CGT très présents dans ce bassin industriel. Il y a aussi quelques membres de Izquierda republicana2 et une dizaine de membres de Esquerra republicana catalana3.

Beaucoup d’hommes sont seuls, célibataires, ou séparés de leurs femmes et enfants retenus dans un autre département ou toujours en Espagne. Plusieurs feront venir leurs épouses quand ce sera possible, en 1948-49, d’autres fonderont une seconde famille en Aveyron, tel autre aura une fille à Cransac mais rejoindra sa première famille en Catalogne… Ils prennent pension dans des petits cafés, vivent souvent dans des baraquements construits près du carreau de la mine. Les familles regroupées occupent des appartements vétustes et exigus dans les quartiers ouvriers de Decazeville, Combes, Aubin, Cransac, quartiers qui deviennent des petites Espagne (annexe 5). Ils sont, nous l’avons vu, sous surveillance permanente, surveillance policière, surveillance administrative, surveillance sanitaire, surveillance de « l’état d’esprit »  : ces rouges sont dangereux ! Certains qui refusent « de se soumettre aux prestations imposées aux bénéficiaires du droit d’asile » sont renvoyés vers l’Espagne ou le plus souvent dirigés vers leur ancien camp. Même chose pour ceux qui sont jugés inaptes ou dont le rendement est insuffisant. Ces mesures ont concerné une vingtaine de réfugiés employés aux Houillères. En 41-42, face au développement de la presse clandestine, les enquêtes policières se multiplient. En 41 à Decazeville, certains anarchistes sont arrêtés et expulsés vers les camps, l’un d’eux, Luis Aza, grand ami de ma famille, sera transféré au camp de Djelfa en Algérie. En 42, rafles et arrestations également parmi les communistes accusés de propagande subversive. Cándido Quintián sera envoyé au camp du Vernet puis sur le mur de l’Atlantique.

L’opinion publique aveyronnaise a pour ces révolutionnaires venus d’un autre monde une méfiance sourde ou déclarée qui s’effacera progressivement en constatant jour après jour que ces Espagnols indésirables ont une conduite digne, responsable, souvent irréprochable. (lettre de la bijoutière  : annexe6)  Et c’est vrai que ces hommes, ces femmes, travailleurs sérieux, durs à la tâche, sont droits, sont fiers de leur combat. Certes, les clivages politiques demeurent et les antagonismes ravageurs de la guerre civile s’expriment encore violemment parfois même tragiquement. Nous y reviendrons. Mais tous revendiquent fortement leur identité et ne manifestent aucun désir d’intégration. Cet exil est provisoire et le combat continue.

Après l’armistice et la démobilisation, les 5 CTE sont transformées en Groupements de Travailleurs Etrangers. Certains restent en Aveyron dans l’agriculture, les chantiers forestiers, les barrages, les mines. D’autres sont recrutés par l’organisation Todt pour travailler au mur de l’Atlantique. Se créent également à Marcillac, La Salvetat, Cransac, Lunac, Naucelle, Cassagnes-Bégonhès des chantiers ruraux pour réfugiés ou expulsés.

Beaucoup d’Espagnols désertent et s’engagent dès 1942 dans les maquis de l’Aveyron et du Cantal. Fin 41 les premiers groupes de résistants espagnols s’organisent dans le Cantal au barrage de la Roquebroue avec comme chef Silvestre Gómez (« Margallo »). Des contacts sont pris avec l’Aveyron et en Juin 42 se crée dans le Bassin Houiller un groupe antifasciste de républicains espagnols sous la direction de Amadeo López alias « Salvador ». Début 43, «  Salvador », et bien d’autres montent un réseau de résistance avec des ramifications à Carmaux, Laguépie, Caussade, Gaillac et Cajarc. En septembre 1943, suite à la constitution sous l’impulsion du PCE4 du 14ème corps de GE5 et à la création de la UNE6 toujours à l’initiative du PCE, la 9eme Brigade de Guerrilleros qui compte une centaine de résistants espagnols(immigrés et réfugiés) s’organise militairement. Elle est dirigée par Amadeo López (commandant Salvador). Composée essentiellement de communistes, elle compte quelques libertaires et quelques socialistes. Ceux qui ne veulent absolument pas adhérer à la UNE, combattent dans des maquis français en particulier dans le Nord-Aveyron et le Cantal.

Jusqu’en août 1944, la 9eme brigade sera toujours présente dans les actions de sabotage de voies ferrées (Decazeville–Capdenac–Rodez), de puits de mines, de pylônes HT, dans l’enlèvements de miliciens et le harcèlement de colonnes allemandes avec de durs combats à Galgan, aux Albres, Montbazens, Gelles, les Hermets, Villecomtal ... Le 18 Août 1944 Rodez est libérée et la neuvième brigade de G.E. est la première à entrer dans la ville. Le 20 août elle participe à la libération d’Albi et rejoint ensuite l’Ariège. Le 22 août, à Rimont et Castelnau-Durban elle épaule la 26eme division des G.E. En octobre 1944, dans l’opération Reconquista de España décidée par la UNE, la 9eme Brigade des G.E. de l’Aveyron participe à Salardú, à l’attaque frustrée du Val d’Aran et se replie après dix jours de combats inutiles.

En août-sept-octobre 44 la situation est donc très favorable à la UNE qui occupe, politiquement et militairement, une position de force qu’elle va essayer d’exploiter auprès du gouvernement provisoire en se présentant comme la seule organisation espagnole en exil représentative de l’opposition nationale. Elle pose donc sa candidature à la direction de l’Espagne libérée. Lors d’un meeting à Tarbes elle s’adresse à De Gaulle pour lui demander de reconnaître la UNE comme gouvernement provisoire de la République espagnole.

Profitant de cette hégémonie politique et militaire, elle va donc essayer d’imposer le ralliement à la UNE, par des procédés d’intimidation qui iront des menaces jusqu’aux arrestations de militants libertaires, socialistes et même jusqu’à l’exécution de certains (A Decazeville, l’anarchiste Rodríguez Barroso, interprète au sein du GTE, a ainsi disparu dans des circonstances restées obscures).

Pour remettre en cause cette prétention de la UNE et résister à ces pressions, l’exil non communiste a créé en septembre 44 l’ADE7. Le 15 octobre 44, grand meeting de la Alianza à Decazeville avec des orateurs très connus du PSOE et de la CNT. Suite au meeting qui a connu un grand succès, des guerilleros CNT venus du Cantal défilent dans la ville. Les dirigeants communistes décident alors de neutraliser les responsables du PSOE8 et de la CNT9. Le 27 octobre vers 1h du matin une quarantaine d’hommes bien armés mêlant communistes français et espagnols vont essayer d’enlever le secrétaire de section de l’UGT10. S’échappant du 2ème étage par la fenêtre, Juan Àlvarez s’en sortira avec quelques éraflures de balles et des côtes cassées. Son ami et colocataire, Mariano Gutiérrez, a assisté, outré, à la scène et a témoigné dans son journal. (…)

La même nuit ce commando a enlevé 9 militants de la CNT dont Àngel Aransáez, secrétaire départemental de l’ADE… secrétaire du comité départemental de la CNT  ... et cousin de ma mère  ! Il faudra une grève de 3 à 400 mineurs et ouvriers d’usine pour que l’administration qui avait plus ou moins couvert l’opération intervienne au niveau préfectoral et que les 9 otages soient libérés.

Cet antagonisme va se poursuivre hélas de nombreuses années et un fossé profond de méfiance et de ressentiments a longtemps séparé communistes, et anarchistes et socialistes.

Malgré ces fractures, il est clair que pour tous les républicains espagnols exilés la lutte contre le nazisme n’a été que la poursuite logique de leur combat contre Franco et ce combat contre le franquisme va s’organiser sous d’autres formes. Les mouvements politiques vont rapidement se restructurer et mettre en place les réseaux qui assureront le fonctionnement local, départemental, régional et national de leurs différentes activités.

Le PCE va très vite créer à Decazeville, Villefranche, Rodez, Millau, Capdenac ses sections locales, et dès sa création, les sections de la UNE (40 membres par exemple à Villefranche en 1944, puis, toujours à Villefranche, une vingtaine de jeunes filles et jeunes gens dans l’Union des Jeunesses Combattantes Espagnoles). Le secrétariat départemental du PCE se trouve à Decazeville.

Le 30 décembre 1946 toujours sous l’impulsion du PCE se crée à Decazeville, l’Amicale des anciens FFI et résistants espagnols.

Il m’a été difficile de trouver les effectifs précis des réfugiés communistes car, en particulier dans le Bassin de Decazeville, ils vont se fondre dans les associations existantes contrôlées par les communistes espagnols immigrés qui même naturalisés prennent souvent la carte du PCE, le Centro recreativo español mais surtout la Fédération des immigrés espagnols en France créée en 1936, et reconstituée dans le Bassin en 1939. En 1950 lors de l’opération Boléro Paprika 2 communistes espagnols de Decazeville sont assignés à résidence en Corse : l’un d’eux laisse une femme et deux enfants, il ne reviendra pas et refera sa vie ailleurs : je le mentionne parce que c’est aussi ça l’exil  : des vies fragilisées par un contexte déstructurant. Suite à la dissolution du PCE, du PSUC11 et des associations satellites en 1950, cette fédération des immigrés qui compte 70 adhérents à Aubin-Cransac va être dissoute en 1952. Aussitôt, en s’appuyant sur une liste de 120 demandes à Decazeville, elle sollicite l’autorisation de créer une nouvelle association «  la Fédération des Espagnols résidant en France ». Ce sera refusé mais ça donne une idée des effectifs communistes cumulés dans cette partie du département. Dissolution également en 1952 de la société de secours mutuel Aide Mutuelle Espagnole créée en 1927 à Viviez.

Après 1950, et plus ou moins clandestinement le PCE continuera à assurer ses activités de propagande et de dénonciation active du franquisme. En s’appuyant bien sûr sur le parti frère, le PCF et sur la CGT, très puissante dans le Bassin houiller, ce qui petit à petit l’amènera d’ailleurs à s’impliquer plus ou moins directement dans la vie politique et syndicale française, à Decazeville et Millau en particulier.

Les socialistes du PSOE et de l’UGT représentent un groupe important qui reçoit en octobre 44 l’autorisation préfectorale pour la création des diverses sections locales. Les sièges départementaux du PSOE et de l’UGT sont à Decazeville. En 1952 le groupe départemental compte 200 adhérents et la section locale de Decazeville 120. Pas de trace en Aveyron de groupe UGT pro communiste.

En mai 1946, a lieu à Toulouse, le 2ème congrès socialiste (en France) de réunification de toute l’organisation politique et syndicale en exil  : sur une photo on remarque l’importance de la délégation socialiste de l’Aveyron, délégation dont les représentants sont sur la scène aux côtés des orateurs. Ce congrès ratifie «  la volonté de collaborer avec tous les partis antifascistes à l’exception des communistes et s’accorde à maintenir « les relations les plus cordiales possibles avec la CNT ».

Pour lutter contre la prépondérance du PCE et de la UNE et faire face aux pressions de toutes sortes qu’ils exercent se met en place en septembre 44 à Decazeville l’ADE départementale dont l’objet annoncé est «  le rétablissement de la république espagnole ».  Siègent au bureau 2 délégués Esquerra republicana, 2 PSOE, 2 UGT, 3 CNT et MLE12. Dans leur demande d’autorisation, les dirigeants font état d’un potentiel d’environ 2500 adhérents en Aveyron, ce qui est difficilement vérifiable  et paraît peut-être un peu exagéré ! Dans l’autorisation préfectorale officielle du 15 mars 45 il est dit «  cette association semble regrouper la majorité des Espagnols émigrés à Decazeville, à l’exclusion des partis communistes et de quelques membres dissidents des syndicats CNT et UGT et Esquerra rep. Catalane qui se sont inféodés à l’UNE ».

La JEL13 qui va rapidement remplacer l’ADE poursuivra les mêmes objectifs.

L’union recherchée par les communistes avec la UNE et l’union des forces démocratiques proclamée par la JEL ne pourront évidemment pas se trouver et la fracture s’installe pour longtemps.

Le MLE représente certainement le groupe organisé qui compte le plus d’adhérents dans le département.

Malgré les dissensions qui opposent ceux qui veulent revenir à l’orthodoxie confédérale d’une CNT apolitique et ceux qui défendent la collaboration avec les autres forces politiques, dissensions qui, après le congrès de Paris en mai 45 mèneront à la scission de décembre 1945, la CNT va se réorganiser dès 1944. 
En 1946 il y a en Aveyron 15 fédérations locales qui comptent 326 adhérents à la CNT apolitique et plus de 50 « pájaros » (c’est le nom que donnaient les orthodoxes aux « collaboracionistes  » qui avaient quitté le nid  !). Decazeville, dont la fédération locale compte 104 adhérents apolitiques en 48 plus une vingtaine de « politiques  », est le siège du Comité interdépartemental. Après les meetings d’union de l’ADE en 44 à Decazeville, de la JEL en 45 à Rodez, la CNT organise à Decazeville plusieurs grands meetings dits  «  de afirmación confederal y libertaria  » avec la participation de Carreño, Puig Elías, Federica Montseny pour le Comité national et Aristide Lapeyre et François Jammes pour la CNT française… Le mouvement libertaire restera longtemps très présent en Aveyron. Après la réunification en 1961, il compte 200 adhérents à jour de leurs cotisations et reste en 1963  « la seule association espagnole encore en activité dans le département » d’après un rapport des RG.

La section UGT n’ayant plus d’activité dans le département sera dissoute par arrêté préfectoral en 1963, et le rapport précise que de nombreux membres rejoignent alors FO, et certains la CGT.

Le PCE n’a plus depuis 1950 d’existence légale, ses activités sont semi-clandestines et il se fond peu à peu dans le PCF, la CGT et les nombreuses associations satellites.

80 ans ont passé, tous les acteurs de cette histoire sont morts, mais l’exil espagnol, toutes tendances confondues, a laissé dans le Bassin de Decazeville en particulier une trace profonde.

Nous, les filles et les fils de cette génération de militants, nous nous souvenons d’une enfance et d’une adolescence nourries d’antifranquisme, d’antifascisme, une enfance et une adolescence qui ont baigné dans cette affirmation exaltée de la lucha pro-España, avec l’aide permanente à la propagande, aux imprimeries et aux émetteurs clandestins en Espagne, avec les souscriptions, , les timbres pro presos, pro oprimidos, les armes qu’on voyait passer parfois et qui armaient ceux qui partaient lutter dans les guerillas.

Nous nous souvenons de Juan Aza, asturien, membre du PCE à Decazeville, qui après l’échec de l’opération du Val d’Aran à laquelle il a participé rejoint les Asturies et intègre une guerilla communiste. Il sera abattu par la guardia civil le 11 avril 1947.

…de Valero Gil, anarchiste réfugié à Decazeville, qui repart clandestinement en Espagne en 1946 pour participer à la reconstruction de la CNT. Il laisse une compagne rencontrée à Cransac et leur fillette Alba, et rejoint la banlieue industrielle de Barcelone, à Terrasa et Rubí (où il retrouve d’ailleurs son épouse et sa fille restées en Espagne). Très actif, il est arrêté, condamné à mort et verra sa peine commuée en prison à perpétuité. Il fera 18 ans de prison dont une bonne partie au pénitencier de Santoña en Cantabrie.

…De Vicente Aza, également membre du PCE à Decazeville, qui rejoint les Asturies en 1957 avec la volonté de faire clandestinement œuvre syndicale. Mineur aux mines d’El Entrego, il est victime dans une galerie d’un assassinat maquillé en accident. (Le PCE, qui dans ces années-là, a changé de stratégie et veut asseoir une nouvelle image, avalisera la thèse de l’accident ce que la famille ne lui pardonnera pas).

Nous nous souvenons aussi de tous ceux qui jusqu’au début des années 50, continuent d’arriver clandestinement et qu’on accueille dans nos familles, qui partiront sur Paris, sur l’Argentine, le Brésil ou le Venezuela…

Nous nous souvenons des réunions, des meetings, de la distribution des journaux le dimanche, El Socialista, Mundo obrero, CNT, la Soli, España libre, des Noëls socialistes, des fêtes des PCF/PCE à Bouillac, à Port-d’Agrès, du voyage annuel des familles libertaires à Toulouse pour le 19 juillet, au Palais des sports, avec meeting le matin et spectacle de variétés l’après-midi, … des jiras au bord du Lot à Livinhac, ou aux gorges du Tarn…

Et nous entendons encore ces mots énormes qui revenaient si souvent dans les propos des uns et des autres, la libertad, la solidaridad, la dignidad, la ética, la revolución, la emancipación, et bien sûr pour atteindre à cette emancipación, la educación. Poussés par nos parents nous sommes nombreux, garçons et filles, à avoir poursuivi des études, avec à l’arrivée, un nombre important d’instituteurs et de professeurs, mais aussi d’ingénieurs et de médecins… Ceux qui sont arrivés enfants en France n’ont pas toujours eu les mêmes opportunités mais ils ont eu de l’ambition et grâce parfois aux cours par correspondance beaucoup ont réussi professionnellement. Mais quel que soit le parcours personnel, je crois que pour beaucoup d’entre nous l’objectif moral et politique est resté fidèle aux valeurs de liberté, d’émancipation, d’égalité et de justice sociale défendues par nos parents.

En Aveyron comme ailleurs, car beaucoup ont quitté le département, nous sommes bien les héritiers de cette histoire unique, déchirante, exaltante, celle d’une génération de combattants, de militants qui a cru jusqu’au milieu des années 50 au retour possible en Espagne, mais qui a vieilli en France et qui, presque sans s’en rendre compte, a fini par s’intégrer.

Lors des obsèques de Eduardo Castro, dont j’évoquais la disparition au début de cet exposé, dans ce cimetière de Decazeville où reposent de très nombreux Espagnols, je pensais tristement à la perte irréparable qu’a représentée pour l’Espagne l’exil de ces centaines de milliers de paysans, ouvriers, intellectuels, artistes, hommes et femmes d’une grande conscience politique et sociale et dont les idéaux auraient pu faire de l’Espagne un magnifique pays de liberté et de justice sociale.

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   1   Groupement de Travailleurs Etrangers mis en place par Pétain après l’Armistice et la démobilisation
   2   Gauche Républicaine
   3   Gauche Républicaine Catalane
   4   Partido Comunista de España
     Guerrilleros Españoles
   6   Unión Nacional Española

   7   Alianza Democrática Española
   8   Partido Socialista Obrero Español
   9   Confederación Nacional del Trabajo (anarcho-syndicaliste)
 10   Unión General de Trabajadores (socialiste)
 11   Partit Socialista Unificat de Catalunya (communiste) 
 12   Movimiento Libertario Español 
 13  Junta de Liberación Española

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Date de création : 28/02/2009 22:56
Dernière modification : 13/06/2020 09:52
Catégorie : 2_Témoignages


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