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Paco - Apprendre sur le tas

APPRENDRE SUR LE TAS


Destin, karma, chance ou suerte,

on peut naître au milieu d'une nuit, blanc, naître en plein jour, noir, jaune en lune nouvelle et même un peu rouge en pleine éclipse solaire. Ça, c'est pour la couleur de la peau. Très, très important, la couleur de la peau !

Destin, karma, chance ou suerte,

on peut naître dans l'hémisphère nord ou sud, dans un pays développé ou dans le tiers monde, à hauteur du cercle polaire ou sur la ligne d'équateur.
            Destin, karma, chance ou suerte,

on peut naître noble ou roturier, à Séville ou dans un dépotoir de Manille, riche ou pauvre, avec une cuillère en argent dans la bouche ou plus simplement encore, comme la majorité d'entre nous, avec une fourchette plantée près du trou.

Destin, karma, chance ou suerte,

neuf mois de gestation dans le ventre de notre mère avec déjà des aléas, fausse couche, avant terme, présentation parfaite, tête première, ou par le siège, histoire d'emmerder le monde, ou avec difficulté, carrément au forceps. Et d'entrée, une baffe pour que tu pousses ton premier cri face à la vie. Premier cri d'une longue série...

Je suis né de nuit, donc blanc, dans l'hémisphère nord, en pays développé, pauvre et la fourchette plantée là où il faut. J'ai donc eu beaucoup de chance car j'aurais pu naître bantou, des scarifications plein les joues au pays de l'apartheid, ou petit-fils de sioux, parqué déjà dans ma réserve. Chinois, ça aurait donné quoi ? Avec ou sans natte, une chose est sûre, je ne risquais pas la solitude. Aborigène, un os en travers des narines, tout tacheté de blanc. Ou esquimau, là-haut, tout là-haut.

Quelle chance d'être né à Viviez. Baptisé, sans mon accord, il faut le dire, je fus donc papiste, catholique romain... ça en jette, putain ! Juif, j'aurais erré toute ma vie de pogrom en camp d'extermination, puis dans mon pays en guerre pour la vie. Né à Bagdad, j'aurais, à l'appel à la prière, posé cinq fois par jour mon front dans la poussière. Hindou, ça ne m'intéresse pas beaucoup, cette histoire de caste n'étant pas à mon goût. Je mets fin à ma liste, qui n'est pas exhaustive, elle serait sans fin. Ce qui démontre à quel point on n'est rien dans la main du destin.

Je suis né, donc, à Viviez, (qui dois-je remercier ?), en Aveyron, de parents espagnols. Pour mes voisins français, un macaque de plus sur le palier. Les premiers mois, on vit d'instinct. Tétée, pipi, caca, on se laisse vivre. Les grands sont là pour veiller. Marcher, dire maman, tout ça à l'avenant, dans la foulée. Plus tard, on m'a dit que j'étais orphelin de père. Je ne m'en suis pas aperçu. Sur le plan affectif, il y avait même du surplus. Bien sûr, il y avait la promenade du dimanche, cette photo à embrasser sur cette croix en granit rose et noir. Je vous rassure, j'ai dit «pauvre», la concession à perpète appartenait à un oncle. Donc mon père était là par pure bonté. Un rosier grimpant, appuyé à la stèle, donnait de toutes petites roses, des pomponettes. Dans mon esprit et pour la vie, ces fleurs sont restées liées à mon père, plus encore que les rares photos qu'il nous restait de lui.
       On sort du cocon familial, on attaque la vie : la maternelle chez les soeurs du couvent, juste à côté de la maison, au plus commode, pour que ma mère puisse continuer à faire ses lessives, ses ménages. Bonne à tout faire, tout un programme ! J'ai souvenir d'un porte-manteau trop haut, du panier du goûter. J'ai appris à chanter : «une pomme rouge pour mettre à sa bouche, un bouquet de fleurs pour mettre à son coeur !» Bonjour, petit Jésus ! Puis, virage à 180 degrés, la communale, cette école républicaine, laïque et surtout gratuite et, en parallèle, parce qu'il fallait, paraît-il, y aller, le catéchisme. Et j'ai appris sur le tas, plus ou moins bien, mais toujours le plus possible. Avec la même application, l'Histoire de France et des français, le Notre Père et la Bible des curés. J'ai aimé, charmant mélange, Clovis et Barrabas, Roland et Charlemagne, David et Goliath, St Louis, Samson et Dalila, Louis XVI et Jean le Baptiste, tous les deux raccourcis de fort belle manière. La Révolution, place de la Bastille et la Passion du Christ sur le mont Golgotha. J'ai mélangé inventions et miracles, l'imprimerie de Gutenberg et la résurrection de Lazare. Vous dites Lazare ? comme c'est bizarre ! J'oubliai Jeanne d'Arc et Marie, toutes les deux pucelles. Là, je n'ai pas très bien compris, l'âge peut-être !
          Bien que pauvre, Noël était une belle nuit. Le cadeau du matin était souvent unique, une orange, un petit mécano, en attendant un cadeau plus gros. J'ai chanté avec la même ardeur «Honneur et gloire à l'école laïque» et «Plus près de toi, mon Dieu». Les bêtises, non les péchés, que je commettais à l'intérieur de l'école laïque, j'allais de bonne foi me les faire pardonner dans le sinistre confessionnal : «Mon Père, j'ai péché par action, pensée et omission, par désir» du par coeur, appris et répété en boucle. Des péchés, j'en ai même inventés pour mériter une grosse pénitence, acte de contrition, je vous salue, Marie... et repartir soulagé par tant de bonté. Je ne comprenais pas pourquoi nous, la laïque, étions séparés de ceux de l'école libre, celle du curé. Pourquoi nos bancs étaient branlants et nos bibles abîmées. Dieu était bonté mais le sermon qui tombait de la chaire ne parlait que péchés, démons, enfer et purgatoire. Le mot «limbes» a hanté mes nuits. Les non baptisés vont errer dans les limbes pour l'éternité. Ouf ! moi, je l'étais... Sacré péché originel ! Pour une pomme ! une putain de pomme ! Eve, Eve ! j'espère qu'au moins elle était bio...Et ce con d'Adam qui s'est laissé faire ! Ah, l'amour ! Et depuis on est dans la…compote. Dans les travées de la nef, des bancs en bois, des chaises dépareillées, mais aussi, j'apprenais sur le tas, des prie-Dieu luxueux, paille de velours rouge pour s'agenouiller. Sur chaque dossier, une plaque de cuivre et le nom du propriétaire. Et ça tournait, ça tournait dans ma petite tête... J'ai distribué le journaldorée, molleton  La Croix et Le Petit Rouergat à la petite porte, celle par où sortaient les nantis, directeurs, ingénieurs docteurs et consorts. Par ici la monnaie ! On me souriait, on me tapotait la tête. 10 sous, parfois plus, on pourrait partager avec Eloi, mon frère de lait. Lui était à la grande porte.
          La vie s'écoulait. Moi, faux gaulois, j'ai appris et chanté La Marseillaise et, en apprenant sur le tas, «Maréchal, nous voilà». J'ai chanté les deux avec la même application, laissant du temps au temps pour la comparaison. Quatrième, troisième, seconde, première, certificat d'études, la communion privée, confirmation, la communion solennelle, qui par une tradition immuable et définitive, mettait fin à ma vie religieuse. Le mercredi soir suivant, j'entrais là où était ma vraie place, à la Jeunesse Laïque. J'ai appris et chanté de très beaux cantiques mais «Honneur et Gloire à l'École Laïque», qui nous apprend à vivre et penser librement, a été pour moi la vraie et seule bible, celle qui m'a accompagné tout au long de ma vie.

Vous voyez, j'ai vraiment appris sur le tas. Mes petits enfants font des études, des Masters de plus en plus longs, mais tôt ou tard, ils devront affronter la vraie vie, baisser la tête et rentrer dans le... tas.

Destin, karma, chance ou suerte, Inch' Allah !


 


Date de création : 06/03/2009 19:06
Dernière modification : 06/03/2009 19:23
Catégorie : Paco


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