| lettre à MEMORIA ANDANDO La mémoire de l'ami, la mémoire du père, de la mère, de l'oncle ou du voisin. La mémoire c'est hier qui renaît aujourd'hui. C'est les rires, les pleurs et la vie qui refait les chemins où nous avons vieilli. C'est une main amie, où la femme et l'homme enferment leurs instants, leurs regards et leurs silences perdus dans l'enchevêtrement du parcours.
Cheminer la mémoire c'est perpétuer les vies avec leur lassitude, leur engagement, leur passion, leur survie. Ainsi sur ces sentiers qui remontent le cours du temps, Decazeville se pare de ses meilleurs amis, et invite à la fête des Espagnols de Decazeville. De ceux qui poursuivent la foulée d'hier, et de ceux qui lentement nous laissèrent un peu seuls. Mais tout est épopée dans ce bassin minier où ces voix s'élevèrent et surent se mêler, dans leur humble jargon, à la marche vibrante de ces aveyronnais. Leurs mains se firent frère et lièrent leur sort à ces âpres montagnes qui les accueillirent et qui furent leur havre. Bien des lustres ont passé et nous voilà ensemble pour évoquer la terre où sont ancrés, telles de vielles barques reposant dans le port, ces moments éternels qui peu à peu s'effilochent dans nos mémoires.
Alors les souvenirs se conjuguent au présent et Raquel nous rappelle les "jilgueros" de Donato, les géraniums de la Fidela, l'hypertension de la Leonor, Cain le petit chien de la Dominga, la señora Teresa écoutant chaque soir la pirenaica, Silvino remontant la Vitarelle, Filomena penchée à son balcon, le tiercé de la Piedad et de la Rosita, l’atelier du tailleur Eduardo qui servait de lieu de causerie, la mobylette de Jesus devant le bar de Ville, les vendanges avec la tia Ana, les coutures de la Violeta et la Carmen sauvée de la noyade par Cesar et qui l'épousera, la señora Isabel, la suegra de Tomas, Miguel Burgos de la côte des Estaques, et les drapeaux tricolores sur les cercueils.
Tous nous avons vieilli avec ces images embuées par des soupirs et des larmes séchées par le vent de l'oubli. Tous ces bancs de l'école publique où nous avons usé les fonds de nos culottes rapiécées sans arrêt, puis les chemins de vie que nous avons suivis, chacun à sa manière. Retrouver sa mémoire, ce n'est pas que de la nostalgie, c'est refaire l'histoire et dire j'étais là. Et embrasser l'histoire c'est perpétuer des noms, c'est retracer les pas des amours de la France et de l'Espagne, c'est graver le passé pour qu'il puisse servir à comprendre le futur. Et l'histoire de Decazeville ne peut s'écrire sans l'interprétation de cette implantation de ces hommes et de ces femmes qui cheminèrent pour qu'aujourd'hui leur mémoire soit comme une encre qu'il ne faut pas laisser sécher.
Ceferino Álvarez - 2003 |
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